Les utilisateurs d’Instagram les plus influents sont courtisés par les marques pour participer à des opérations marketing. Le phénomène venu des États-Unis s’est généralisé dans le monde entier.

Une cabane de sauveteurs, du sable fin, un peu de ciel bleu et des palmiers. Cette photo d’une plage californienne sur Instagram n’a a priori rien de particulier. Elle a pourtant rapporté de l’argent à son auteur, Qorz, 170.000 followers au compteur. C’est la marque Etam qui est à l’origine de cette opération. Un exemple parmi tant d’autres d’un phénomène qui a émergé aux États-Unis en 2012, et qui s’installe peu à peu en France: le business des photographes amateurs sur Instagram.

Des Instagramers courtisés

Avant de travailler pour Etam ou d’autres enseignes, et avant même de s’inscrire sur Instagram, ce photographe amateur qui se fait appeler Qorz était réfractaire aux réseaux sociaux. «Le concept ne m’attirait pas, je n’en voyais pas l’utilité. C’est en achetant des amortisseurs pour ma moto en 2012 que le vendeur m’a parlé d’Instagram. J’ai installé l’application et je me suis rapidement pris au jeu», explique le graphiste. À l’époque, l’application était plutôt considérée comme un éditeur de photographies. C’est cet aspect pratique qui a séduit Qorz. Les mois passent et les internautes sont de plus en plus nombreux à suivre le photographe amateur, sensibles à ses images de paysages. Il y a un an, les entreprises commencent à le courtiser. «On m’a contacté pour me demander si je voulais voyager, où, et quand. J’étais très surpris, mais j’ai répondu. Quelques jours plus tard, j’étais dans un palace d’Istanbul», raconte l’instagramer.

Le même scénario s’est produit pour Olivia Thébaut. Cette jeune directrice artistique a commencé à utiliser Instagram en 2011. «J’ai atteint mes 10.000 premiers followers seule. Ensuite, j’ai eu de la chance: Instagram m’a ajoutée dans sa liste de photographes à suivre proposée aux nouveaux inscrits. C’est là que mon compte a explosé, pour atteindre les 312.000 abonnés aujourd’hui», détaille-t-elle. En septembre 2013, les premières marques ont commencé à contacter la jeune femme pour apparaître dans ses photographies. «Ça me faisait peur. Avant d’accepter quoi que ce soit, je me suis longtemps demandé comment tout cela allait être pris par mes abonnés. J’appréhendais leur réaction», se souvient-elle.

«On ne s’est pas inscrit pour ça»

Cette crainte s’est cependant rapidement estompée. «On nous impose rarement des choses. La plupart de temps, il faut simplement que l’on voie l’objet de la campagne, et que l’on mette un hashtag sous la photo», explique Olivia. Pour Qorz, la décision tombait sous le sens: «Je n’aurais jamais travaillé avec des marques si je n’étais pas libre de mes choix. Après tout, on ne s’est pas inscrit pour ça!». Les marques doivent en effet respecter un des critères pour lesquels elles ont choisi des instagramers: leur style. Exit donc les photos réalisées en studio, à la lumière irréprochable.

Face la multiplication des opérations de communication sur Instagram, les photographes amateurs instaurent parfois eux-mêmes des limites. «Je n’accepte de travailler qu’avec des marques que j’affectionne, je refuse aussi qu’on me dicte quelle importance doit avoir l’objet dans le cadre», annonce Olivia. Grâce à toutes ces règles, la jeune femme l’affirme: aucun de ses followers ne lui a reproché ses travaux avec les marques.

Un complément de revenu parfois très important

L’activité des instagramers est assimilable à de la publicité et est donc, en théorie, réglementée. D’après l’article 20 de la loi pour la confiance en l’économie numérique, «toute publicité, sous quelque forme que ce soit, accessible par un service de communication au public en ligne, doit pouvoir être clairement identifiée comme telle». Juridiquement, une mention explicite doit donc être présente.

Olivia Thébaut avoue pourtant ne pas «indiquer systématiquement» qu’il s’agit d’une campagne de communication. «Je n’assimile pas ces photos aux articles sponsorisés des blogs par exemple», explique-t-elle. Sur Instagram, on devine malgré tout la plupart du temps que c’est une marque qui se cache derrière l’image, grâce aux hashtags comme #SamsungInstawards.

Comme pour les services de photographes professionnels, les marques consacrent un certain budget aux instagramers. Les prix varient en fonction des marques, du nombre de photos et de l’ampleur des opérations. Des cadeaux sont régulièrement offerts en supplément: téléphones, voyages, etc. D’après les deux instagramers interrogés par le Figaro, les rémunérations (numéraires) varient entre plusieurs centaines et plusieurs milliers d’euros, sauf exception.

«Certains voient leur compte comme une entreprise»

Olivia Thébaut a perçu une rémunération plus importante en décembre 2013, lors d’une opération avec Smart. Choisie aux côtés de quatre autres instagramers d’autres pays, elle a dû réaliser douze photographies mettant en scène le vélo électrique de la marque dans les rues de Paris. Cette campagne a rapporté plusieurs milliers d’euros à la photographe amateur, «une somme importante, mais exceptionnelle», précise-t-elle.

Ce genre de transactions ferait tourner la tête de beaucoup d’instagramers si l’on en croit la jeune femme: «Certains s’adonnent à une course effrénée aux followers, ça me dépasse. Ils voient leur compte comme une entreprise et ce n’est pas mon cas.»

Des agences s’engouffrent dans la brèche

Instagram, racheté près d’un milliard de dollars par Facebook en 2012, revendique désormais 300 millions d’utilisateurs actifs, 30 milliards de photos partagées et 2,5 millards de «j’aime» par jour. Ces chiffres impressionnants suscitent l’intérêt des entreprises, désireuses de s’adresser à une audience toujours plus importante. Instagram est aussi un canal privilégié pour la publicité, généralement basée sur l’image.

Franck Jamet a co-fondé l’été dernier une agence de communication digitale spécalisée, Tribegram Lab. Elle accompagne les marques dans leur communication sur Instagram. «La communauté sur ce réseau social est très importante pour les marques. La croissance y est forte et le taux d’engagement est souvent plus élevé que sur Twitter ou Facebook», détaille-t-il. Pour chaque opération, il conseille aux marques de recourir à plusieurs photographes amateurs: «tous les styles sont représentés sur le réseau social, c’est son essence même. Il faut en profiter et proposer de la diversité dans les campagnes de communication.»

L’agence Heaven est spécialisée dans la communication sur Internet. Elle a aussi eu recours à des «instagramers» influents, notamment pour le compte de Samsung. Laurent Moreau, directeur conseil, a suivi de près la campagne lancée en novembre. «On a fait appel à cinq photographes amateurs, qu’on a principalement choisis pour leur patte artistique», explique-t-il. Chacun d’eux comptabilise entre 100.000 et 800.000 followers, une donnée qui a pesé dans la balance.

Pour Laurent Moreau, «les campagnes de publicité classiques n’ont tout simplement pas leur place sur Instagram», d’où l’importance – voire la nécessité – de faire appel à des photographes amateurs influents sur le réseau social. Pour l’heure, il s’agit d’un des deux seuls moyens pour une marque de communiquer sur Instagram, l’autre consistant à créer un compte à son nom.

De son côté, Instagram travaille toujours sur son modèle de publicité. Il est notamment en test aux États-Unis avec des marques comme Levi’s, et consiste à intégrer les campagnes sous forme de photos dans le fil d’actualité de l’utilisateur. Une fois généralisé, il s’agira alors pour les entreprises de choisir le meilleur moyen de faire leur communication. Le modèle des blogs pourrait bien être adapté, en faisant appel à la fois à des photographes amateurs et à des publicités plus classiques.

 

via Le Figaro